« On peut peindre avec ce qu’on voudra, avec des pipes, des timbres-poste, des cartes postales ou à jouer, des candélabres, des morceaux de toile cirée, des faux-cols, du papier peint, des journaux ».
(Guillaume Apollinaire : Les peintres cubistes, 1913)
« Si ce sont les plumes qui font le plumage, ce n’est pas la colle qui fait le collage ».
(Max Ernst : « Au-delà de la peinture », Cahiers d’art, 1937)
Feuilleter page après page des magazines en vue de constituer un stock d’images caractérisées par leur beauté, leur originalité, ou la simple immédiateté de leur impact. Au sein du volumineux corpus rassemblé, en sélectionner intuitivement une dizaine ou une vingtaine tout au plus (me gardant d’un foisonnement excessif qui pourrait perturber la fluidité du mouvement au sein de la composition à venir), unies par des liens d’analogie ou de contiguïté plus ou moins apparents. Redécouper aux ciseaux les morceaux susceptibles de s’agencer sur une surface ni trop petite ni trop grande. Tester ces agencements en faisant jouer les répétitions ou les contrastes à l’aide de trombones accrochés le temps nécessaire à la feuille de papier. Modifier la disposition jusqu’à obtenir la solution la plus convaincante. Recouper les fragments au cutter - instrument décisif - pour affiner le trait. Coller : le collage des éléments du puzzle ne s’opère que lorsque l’équilibre entre trois exigences principales – formelle (un rythme singulier doit être perceptible), chromatique et symbolique ¬– semble atteint : il constitue la phase ultime, la plus brève et paisible de ce rituel, même si d’ultimes repentirs obligent parfois à décoller et recoller certaines pièces.
L’évident soubassement thématique de la plupart de ces réalisations rend à mes yeux presque superflue l’apposition d’un titre. Le détournement d’images le plus souvent arrachées à leur vocation publicitaire initiale pour produire des significations inédites – réinvestissement de topoï éculés de notre société de consommation – joue un rôle important, mais dans une perspective assez éloignée de la froideur aseptisée qui caractérisa parfois le Pop Art : le remploi est mis au service de la traduction minutieuse d’une idée, d’un sentiment, d’une émotion, d’une expérience marquante. L’insertion fréquente de mots voire d’embryons de phrases n’a pas simple valeur graphique mais participe de cette volonté expressive. Du reste, la dimension artisanale qui caractérise la plus grande part de ce travail et le non-effacement des traces matérielles qui en témoignent – superposition d’épaisseurs inégales, irrégularités ou imperfections perceptibles à l’œil – se situent volontairement à l’opposé des procédés modernes basés sur la confection et la refonte d’images numériques : le scannage n’intervient ici qu’en dernier ressort, à l’aide d’un instrument apte à restituer avec une extrême fidélité le collage originel ; il ne reste plus qu’à effectuer quelques réglages chromatiques avant de procéder au tirage sur papier.
Si, au départ, la rencontre fortuite de certaines images joue son rôle, presque aucune part n’est laissée à l’arbitraire dans l’agencement final : les moindres détails doivent participer de la cohérence interne qui définit le nouvel assemblage organique. Malgré tout, ma dette à l’égard du modèle surréaliste est tangible, par le côté ludique et parfois légèrement provocateur des montages, et surtout dans la mesure où, par-delà les significations consciemment mises en scène, la dimension onirique et « l’étincelle de poésie qui jaillit du rapprochement de [plusieurs] réalités étrangères », pour reprendre les termes de Max Ernst, doivent primer, en définitive, et donner au spectateur la possibilité de rêver et de méditer...
François Géal
P. S. Les travaux exposés sur Livegalerie.com sont visibles à mon domicile parisien, sur demande.